Dominique Gilliot
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Le travail performatif que j’ai peu à peu construit depuis 5 ans consiste en une mise en scène de moi-même (parfois d’autre interprètes viennent s’ajouter) dans des performances que je conçois comme des investissements corporels éphémères coulés dans un réseau multiple et compliqué de micro territoires enchâssés, connexes ou juste contiguës (je parle ici d’une territorialisation physique, qui peut être purement géographique, mais qui se manifeste aussi « abstraitement », dans le champ sémantique, par exemple, ou par des glissements de tous ordres, d’une idée à une autre, et qui peut brutalement mettre en connivence deux éléments à première vue étrangers) Des recoupements s’effectuent parfois, et une contamination de ces différents espaces, par capillarité ou par rapprochements arbitraires se fait alors jour. Il faut aussi noter une politique du contre-pied permanent, qui trouve son origine dans une certaine peur de l’ennui, une angoisse du vide (horror vacui dada), que j’attribue à un premier trauma adolescent (le temps de l’ennui, du désir et du vide à combler) ; cette idée de l’adolescence, du fragile, du non abouti est omniprésent, dans tout mon travail et trouve son expression idoine dans un côté bille en tête, têtu même, et à travers l’utilisation massive de référents musicaux marqués, et de codes finissant par former un véritable vocable renvoyant à un vécu commun. Etablissement de micro-territoires, donc (ossature territorialisée ou genre de pseudo-géographie stylisée - cf. Carte du Tendre) signifié par divers objets disséminés dans l’espace (ex : échelle, spots/objets lumineux, micro chant, pied de micro….) + marquage au sol : repères au gaffer de couleur, formes vides « invitantes » (traces de corps au sol) à venir combler (absence>manque>désir, rhétorique du langage amoureux), reliefs inversés visant à comprendre une forme/un concept par son négatif, voire son absence, genre de frontières à franchir ou non, visualisées par des tracés au scotch dans des espaces clos/confinés. Des déplacements et des trajectoires signifiantes viennent ensuite s’inscrire et se tracent au sein de ces micro-univers (comme on dit en anglais pour un résumé, une réduction : in a nutshell)

 



performance pédagogique
15 oct. 2005 - Le plateau


La bande son est utilisée comme une base sur laquelle venir poser des actions successives, une voix/du chant, des déplacements (il sert donc tout autant de repère que les marquages au sol : déclencheur de ce qui doit suivre, indicateur de la marche à suivre ; d’où l’impression produite d’être en partie actée par la musique) mais ce fond sonore sert aussi de mesure temporelle, un genre de clepsydre sonore (time is up !) qui induit un inéluctable (Der Lauf der Dinge) et, de par sa nature même (des noires, des blanches, du temps) la musique devient l’instrument de l’expression d’un rythme et d’une durée. Mais elle est également un outil référentiel conjuguant une fascination pour le format de la chanson pop lambda (couplet refrain) et un intérêt pour une approche plus expérimentale de la musique. Comme noté par Clément Rosset, c’est un des singularités de la musique de parvenir à suggérer un sentiment de « déjà-vu » même si on entend cette musique pour la première fois. Elle peut donc constituer un lieu commun au sens noble du terme, disons un terrain d’entente, logique poussée à l’extrême dans le cas du format pop susmentionné mais qui peut être aussi le cas de tout une tradition de la chanson folklorique (passage d’un relais mémoriel) ; dans le cas de la chanson d’amour (un genre que j’affectionne) ce qui se partage, ce sont des codes de langage auto validés comme objets de reconnaissance mutuelle (Carte du Tendre, encore).

Mon chant vient s’apposer à cette base sonore, tantôt pour enfoncer le clou du terrain commun pop (chansons d’amour hyper connues), tantôt pour prendre la posture rock d’un autre moi même, figuré en connivence avec un spectateur en partie amusé, en partie séduit, en partie consterné, à divers degrés.
L’utilisation d’objets/matériau/outils atteste d’un désir de tangibilité (s’occuper les mains). Ce désir est tantôt contrarié, tantôt porté par le matériau sonore, intangible par nature. Fétichisme, collectionnite, rétention, goût du concret allant à contre-courant du moment où s’inscrit la performance dont la nature intrinsèque oblige au laisser filer. Les objets/outils (caractère prométhéen) se voient affectés une symbolique relevant de la mythologie personnelle (ex : le rubikube pour l’insoluble, la logique de conduite à l’échec, l’insatisfaction de l’effort qui n’aboutit pas….), un genre de prolifération composite collectée puis régurgitée après traitement.
Au sein de cette structure, le soi continue de se réinventer dans un cadre non contraignant, quoique contraint, une part à la liberté de jeu/mouvement (c’est Deleuze qui dit que le plus souvent l’Art se construit dans des goulets d’étranglement), ainsi qu’à la préciosité/fragilité du geste premier est conservée. Le corps « performatif » vient tour à tour animer/activer différents endroits, points précisés dans l’espace, « zonés », les espaces sont susceptibles de se chevaucher et peuvent venir s’augmenter d’une vidéo projection, considérée comme une extension, l’ajout d’un niveau de réel supplémentaire, aggloméré. Le « réel et son double », en quelque sorte puisque, cette fois, c’est la performance vidéo projetée qui est utilisée comme base sur laquelle venir apposer une deuxième couche en live, d’où tantôt confrontation, imitation, accompagnement (à la rescousse !) de mon double en deux dimensions. Ce qui induit un décalage temporel : effet d’écho, sensation de déjà-vu accentuée par ma présence réelle, comme redondante. Une ou plusieurs projections inclues dans la structure même de la performance peuvent aussi permettre d’ouvrir sur différentes couches interprétatives.

Après l’obtention de mon diplôme aux Beaux Arts de Cergy, j’ai peu à peu mêlé une nouvelle « matière » au tissu performatif que j’avais déjà préalablement tissé: les pièces sont maintenant aussi articulées autour de la parole, une parole de conteur,  fragmentaire, pseudo-narrative (aphorismes et/ou historiettes). Manière d’être en permanence sur le fil au risque de basculer, et d’entretenir un état fébrile, fragile, qui va bien avec cette idée d’adolescence dont je parlais plus haut.

Il ne faut pas négliger à cet égard, le recours plus franc, dès lors, à la dimension d’humour qui était déjà présent, mais qui s’en est trouvé augmenté. Ce qui ne met pas la barre sur certains moments plus graves/sensibles; les performances étant le plus souvent construites dans le relief (affects plutôt tristes à affects plutôt gais, par exemple).

Mon passage par le post-diplôme des Beaux-Arts de Lyon, outre le bagage théorique/réflexif/technique plus acéré dont je m’y suis chargée, m’a permis de m’affirmer encore un peu plus dans un rapport au travail, au mien en particulier, et aux questions qu’il soulève en termes de positionnement dans le champ contemporain et à son statut particulier dans ce contexte. Mon rapport à une approche transdisciplinaire de la création s’y est affiné, dans la curiosité et l’intérêt portés à d’autres pratiques plus «entières» et au contact de mes camarades du post-diplôme. J’y ai notamment pris conscience de ma spécificité en tant qu’artiste touche à tout, particulièrement intéressée par ces zones frontières entre les différents composants de mes performances: cette fameuse interdisciplinarité.

Dominique Gilliot

 

 

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